vendredi 3 janvier 2014

Ca chauffe dans les blogs de défense…à propos de théorie des drones

 

Et oui, ça chauffe dans les blogs de défense, à propos de la publication d’un livre de Grégoire Chamayou, Théorie du drone, Paris, La Fabrique, 2013, 363 p. Et oui, 363 pages pour la “théorie” des drones. Et vous connaissez le principe de recensions dans les blogs : ça tire ici, ça reprend là bas, ça temporise à côté, ça enflamme devant… Chacun a son mot à dire et vous ne savez pas qui a lu le livre et qui ne l’a pas lu.

Dans tous les cas, chacun peut avoir ses sources… Il y’en a des tas sur le Net, Google est là pour ça. Je n’ai pas lu le livre mais j’ai sélectionné trois sources qui ont lu le livre :

- Michel Volle qui a publié une recension du livre,

- Le Magazine DSI (Défense et Sécurité Internationale) qui en a fait aussi une recension, et en est revenu à l’occasion de l’interview de l’auteur dans un magazine,

- et une recension de Jean-Baptiste JEANGÈNE VILMER pour le site la Vie des Idées, qui enseigne l’éthique et le droit de la guerre à des élèves officiers à Saint-Cyr.

Pour Michel VOLLE : 

Grégoire Chamayou a fait le tour des drones tueurs : données techniques, origines historiques, débats en cours, inquiétudes pour l'avenir sont passés au crible d'une analyse conceptuelle rigoureuse.

D’ailleurs, il considère ce livre comme un travail philosophique. C’est naturel puisque l’auteur est philosophe. L’auteur par son analyse démasquerait les faussaires qui seraient les partisans des drones armés. En fait, il s’agit d’arguments de ces partisans, sur les aspects éthiques du drone. Un seul regret pour Michel Volle :

Un regret : Chamayou, comme la plupart des philosophes, ne voit dans l’État qu'une « machine à pouvoir » et non une institution dont le fonctionnement peut être éventuellement défectueux mais qui a pour vocation de remplir une mission utile.

Pour Jean-Baptiste JEANGÈNE VILMER :

Le livre de Grégoire Chamayou est la continuité du précédent livre, Chasses à l’homme, publié chez le même éditeur en 2010. Et VILMER d’affirmer que :

(…) son objet est moins le drone en tant que tel que la manière dont il illustre la violence des dominants, en l’occurrence celle du « Reich américain », dont les  drones  sont  décrits  par  l’auteur  comme« les  armes  d’un  terrorisme  d’État ».  Leurs opérateurs sont tous des « assassins », et l’éthique du drone ne peut être qu’une « éthique de bourreaux ou d’exécuteurs ».

et d’affirmer à la suite :

Le  drone  pose  des  problèmes  stratégiques,  éthiques  et  juridiques  complexes  qui occupent  de  nombreux chercheurs.  En  l’instrumentalisant  ainsi  à  des  fins  militantes,  en  le réduisant à  une arme  capitaliste  permettant  aux  Américains  d’exporter  leur  impérialisme  et d’opprimer  les  peuples,  le  risque  était  certes  de  plaire  à  un  certain  lectorat,  d’ailleurs convaincu  d’avance,  mais  aussi  de  décevoir  voire énerver  les  spécialistes,  et  ça  n’a  pas manqué.

En clair, l’auteur met à la disposition de tous ceux qui souhaitent s’opposer à la politique des drones des arguments solides pour discourir… Ce qui en fait un livre militant, bien que de grandes qualités reconnait VILMER. L’auteur du livre ne s’en cache pas. Reprenons une partie de la recension :

C’est en effet le risque des ouvrages militants : pour mieux mobiliser, ils caricaturent l’adversaire. Lorsqu’on lui demande quelle était sa motivation en écrivant ce livre, Chamayou répond que « certains philosophes travaillent, aux États-Unis et en Israël, main dans la main avec les militaires pour développer ce que j’appelle une ‘nécroéthique’ visant à justifier les assassinats ciblés. Il y a donc urgence à répliquer. Quand l’éthique est enrôlée dans l’effort de guerre, la philosophie devient un champ de bataille ».

La partie la plus intéressante de la recension, bien critique, est celle-ci :

C’est  un  livre  contre  la  politique  américaine  d’élimination  ciblée,  dont  le drone est un moyen. Cette confusion est classique : si le drone fait aujourd’hui l’objet d’un débat houleux, c’est largement à cause de son emploi par la CIA au Waziristân et, dans une moindre mesure, au Yémen et en Somalie.
Cette politique d’élimination ciblée est discutable, autant moralement que légalement, mais il ne faut pas confondre la fin et les moyens. Il est en effet possible de poursuivre la même  fin  avec  d’autres  moyens  :  avions,  missiles,  hélicoptères,  tireurs  de  précision, commandos, tueur à pied, polonium 210, etc. Inversement, il est aussi possible d’utiliser ce même moyen pour d’autres fins: l’emploi des drones pour des éliminations ciblées est le plus médiatique car le plus controversé mais, quantitativement, il reste très minoritaire par rapport aux missions de surveillance.Surtout, on peut faire un usage légitime des drones en situation de conflit armé, où leur emploi n’est pas plus problématique que celui de n’importe quel avion ou hélicoptère, et peut servir  à  empêcher  des  combattants  de  s’en  prendre  à  des  civils. En  Libye,  par  exemple,  la surveillance  du  drone français Harfang  a  permis  d’identifier  des  individus  tirant  au  lance-roquette sur des quartiers habités comme faisant partie des forces pro-Kadhafi, de déterminer également  leur  lieu d’approvisionnement  en  munitions, et  de  transmettre l’information  aux avions de chasse pour frapper.

(…) Il ne s’intéresse pas aux drones de surveillance, mais aux drones armés seulement, et pas à ses usages légaux dans le cadre d’un conflit armé (Afghanistan, Irak, Libye, Mali) mais à ses usages illégaux par la CIA dans le cadre de la politique américaine d’élimination ciblée (Pakistan, Yémen, Somalie). Autrement dit,  ce  qui  se  présente  comme  une Théorie  du  drone est  en  réalité  une  théorie  du  drone  > militaire > armé > américain > utilisé par la CIA pour faire des éliminations ciblées, c’est-à dire une théorie d’une politique américaine certes contestable, mais à laquelle « le drone » ne devrait pas être réduit. C’est un peu comme intituler Théorie de l’ordinateur un livre sur les cyberattaques russes.

Cette partie a le bonheur d’attirer mon attention sur la doctrine d’emploi des drones armés dont les frappes s’appuient sur les comportements et non l’identité des individus. Qu’est ce qui rentrent en compte dans un comportement pour qu’il soit jugé traduire une appartenance à une organisation terroriste? C’est cette subjectivité que critique l’auteur à juste titre, à condition de ne pas confondre la chose et son usage rappelle VILMER.J’ai apprécié d’ailleurs la point où VILMER affirme que l’éthique n’est pas une doctrine du bien mais une doctrine du moindre mal.

Je dois dire que cette recension est solide et bien argumentée. Je conseille vivement d’y consacrer du temps.

Pour le magazine DSI  par Joseph HENROTIN:

Il n’y a rien de nouveau sous le soleil, le drone n’est qu’un nouvel instrument mis au service des intentions des concepteurs. Et que“le drone (ou, plus généralement, toutes les armes de jet) ne peuvent être désincarnées des réalités militaires”. Joseph Henrotin trouve quand même satisfaction pour cet ouvrage car “en essentialisant la problématique du drone, l’auteur nous offre une vraie réflexion sur l’art de la guerre aujourd’hui”et d’ajouter que la mise en avant des technologies visent “des espoirs (en) gains de productivité qui justifieraient une réduction des forces”. Et J. HENROTIN de conclure que :

la valeur politique derrière une entrée en conflit reste une constante. Rien que pour les développements effectués à cet égard par l’auteur, ce livre doit être lu. Mais pas uniquement : les nouveaux modes d’action, dont les drones ne sont qu’une composante, imposent une réflexion sur ce qu’est la force et cet ouvrage est assurément un bon commencement”.

La critique de l’interview de l’auteur à un magazine est plus précise avec un relevé des erreurs factuelles ou une mise en exergue de généralisations jugées excessives par J. HENROTIN en rejoignant Jean-Baptiste JEANGÈNE VILMER pour dire que :

Encore une fois, la question n’est pas d’ordre matérielle et si des civils sont tués, la faute est-elle à imputer à l’achat et la conception de drones ou à l’utilisation qui en est faite ? De facto, confondre la fin et le moyen n’est certainement pas le meilleur service à rendre aux études stratégiques/sur les conflits/sur la guerre.”

Qu’en retenir?

- Que l’auteur a raison de soulever des aspects juridiques ou éthiques qui naissent de la doctrine d’emploi de ces armes.

- Qu’à la suite, disqualifier un instrument à cause de son usage est assurément prendre un sujet qui mérite un débat public par le mauvais bout. Il ne faut jamais confondre une chose et son usage car les usages sont toujours définis par notre volonté.

Et je dois dire que je souscris à ce dernier point car Amazon envisage faire des livraisons de ces marchandises d’ici quelques années avec les drones.

Personnellement, la solidité des différents arguments déployés par chaque camp ne laissent pas indifférents et je suis en droit de me demander pourquoi je ne m’y mets pas assez tôt à l’étude de la logique

Je perçois aussi la pertinence de mon blog Economie de la Défense. Les spécialistes peuvent contester le caractère militant de l’ouvrage mais les problèmes soulevés par l’utilisation des drones dépassent le cercle fermé de spécialistes des questions de défense. L’ambition de ce blog est de donner les bases nécessaires à tout un chacun pour discourir des questions de défense.

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